Au Québec, les revenus et les abonnements des chaînes spécialisées ont poursuivi leur baisse en 2023. Pendant que les chaînes sportives ont particulièrement souffert, les chaînes d’information et de fiction ne s’en sont pas si mal tirées.
Dans l’ensemble du Canada, les revenus totaux des services facultatifs et sur demande ont diminué de 6,31% en 2023 et les profits ont fondu pour glisser de 66,5 M$ en 2022 à un déficit total de 14 M$ en 2023.
Tel est le bilan sombre qui ressort des rapports annuels sur les secteurs des communications et de la radiodiffusion publiés récemment par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
Un constat s’impose: précipitée par la concurrence des géants du numérique et l’inflation, la chute libre des revenus de la télévision se poursuit et les chaînes spécialisées n’y échappent pas.
«En raison des nombreuses options en lignes, dont les services comme Netflix et compagnie, c’était bien entamé, explique Sébastien Charlton, coordonnateur aux opérations du Centre d’études sur les médias. L’inflation fait en sorte que les gens font des choix d’abonnement et souvent, le câble va être évacué.»
Selon la direction du groupe TVA, ces difficultés s’inscrivent dans une transformation des médias qui dépasse le Québec. «Les résultats (…) sont affectés par la décroissance des revenus publicitaires et l’érosion du nombre d’abonnés, une tendance lourde qui affecte l’ensemble de l’industrie», a-t-elle exprimé dans un courriel. BCE n’a pas répondu à notre demande.
Un surplus d’options
Selon des experts, les chaînes spécialisées au Québec ont toutefois la chance de compter sur un des marchés les plus vieillissants et fidèles sur la planète, de quoi ralentir l’hémorragie.
«Le vieillissement de la population, ça ne fera pas de tort, parce que c’est plus facile de garder des gens qui sont déjà sur le câble que de convaincre des jeunes de changer leurs habitudes», explique Sébastien Charlton.
«Historiquement, les habitudes de consommation des Québécois sur le plan technologique changent plus lentement, corrobore Luc Dupont, professeur de communication à l’Université d’Ottawa. On peut penser au streaming, au téléphone intelligent, à Internet. Mais une fois qu’on se met en marche, ça devient très rapide et c’est ce qu’on vit actuellement.»
Certains secteurs s’en tirent mieux que d’autres. Les chaînes sportives creusent les déficits tandis que les chaînes de nouvelles et de fiction– du moins celles du privé – s’en tirent un peu mieux.
«La question qu’on peut se poser humblement, c’est s’il n’y a pas trop de chaînes de télévision, constate Luc Dupont. À la fin, il ne pourra pas y avoir autant de joueurs, que ce soit dans la télévision traditionnelle ou du côté du streaming. L’offre est tellement importante que ça ne pourra pas durer comme ça longtemps.»
Le sport souffre
Les chaînes sportives souffrent particulièrement du désengagement général de la population envers la télévision. Le Réseau des Sports (RDS) et sa chaîne auxiliaire RDS Info, ainsi que TVA Sports, ont tous enregistré une baisse d’abonnements supérieure à 6,5% de 2022 à 2023.
En conséquence, les revenus totaux de TVA Sports ont diminué de 3,21%, alors que ceux de RDS ont diminué de 4,5% en 2023. Les deux réseaux ont enregistré des déficits : chez TVA Sports, il s’est élevé à 17 M$ tandis que, du côté de RDS, il s’est établi à 15,6 M$ en 2023.
Les ententes de géants du numérique comme Amazon Prime et Apple TV avec des ligues professionnelles sportives ont mis des bâtons dans les roues des chaînes locales. En plus de dorénavant présenter des événements en direct ー un aspect clé de l’attrait de ces fleurons canadiens ー elles causent une chute de revenus publicitaires.
Les chaînes de fiction et documentaire toujours à flot
Encore profitables, les chaînes présentant des films documentaires ou de fiction en français aux abonnées québécois. Malgré une baisse notable du nombre d’abonnements, les chaînes d’ici affichent toujours des surplus. En 2023, Addik TV (4 M$), Canal D (5,6 M$), Prise 2 (5,1 M$) et SuperÉcran (12,2 M$) ont tous généré des profits. Seules les chaînes Investigation et Cinépop ont présenté de faibles pertes.
Il n’en demeure pas moins que les services comme Super Écran, qui permettaient de voir en primeur des œuvres après leur sortie en salle, risquent de devenir désuets et tombent au bas de la liste de gens qui doivent composer avec un coût de la vie élevé.
«Netflix, Apple et autres essaient de garder les films qu’ils produisent à l’intérieur de leur écosystème. Ça complique la vie de chaînes comme Super Écran, qui était jadis une référence pour les nouveautés», ajoute Sébastien Charlton.
Information : grosse perte du public
Pour ce qui est des chaînes d’information, la chute est moins abrupte entre 2022 et 2023, mais les canaux publics (la CBC/Radio-Canada) enregistrent de forts déficits.
Les revenus totaux de RDI ont diminué de 1,99% (à 41 M$) mais, en raison d’une hausse des dépenses d’exploitation, son déficit s’est établi à 10 M$ en 2023, en baisse de 3,4 M$ par rapport à 2022.
Les revenus totaux de LCN ont diminué de 2,53% en 2023, en raison d’une baisse de 5,96% des revenus publicitaires et de 1,63% des revenus d’abonnements. LCN a toutefois enregistré un profit de 5,7M$ en 2023.
Les abonnements de LCN et RDI ont chuté de 4,41% et 2,06%, respectivement.
Les services de nouvelles demeurent toutefois essentiels aux citoyens, croit Sébastien Charlton.
«Dans un monde où les médias sociaux s’éloignent de contenus controversés pour potentiellement vendre plus de publicité, les gens vont encore sentir le besoin de s’informer quelque part.»