Baisse d’achalandage, peu de stationnements, des cônes et affiches qui bloquent des accès aux commerces, les travaux du boulevard Henri-Bourassa visant à aménager des voies réservées aux vélos et autobus font la vie dure aux commerçants du secteur, dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville à Montréal.
De l’avenue Marcelin-Wilson à la rue Lajeunesse sur le boulevard Henri-Bourassa, il y a maintenant plus de cônes orange que de voitures. À certains endroits, il n’y a qu’une seule voie dans chaque direction. Un des autres constats faits lors de notre passage: les déplacements sont difficiles même en été. Plusieurs appréhendent le retour de la circulation normale à la rentrée, car les travaux qui ont commencé il y a un peu plus d’un mois devraient se terminer à l’automne seulement selon l’arrondissement.
«On n’a pas de clients, on n’a pas de travail», lance Aref Delisle, de Pizza Roni. Il affirme avoir perdu plus de 60% de son chiffre d’affaires depuis le début des travaux, en juin. À l’instar de plusieurs commerces, sa pizzeria se trouve en plein cœur du chantier. «Même à pied, on ne peut pas entrer. On n’a pas de stationnement. L’accès est bloqué partout», dit-il.
Le projet de «corridor de mobilité durable» sur Henri-Bourassa vise à remplacer deux des quatre voies dans chaque direction par une voie réservée aux autobus (service rapide par bus) et une aux vélos (Réseau express vélo). Les quelque 200 espaces de stationnement sont aussi condamnés et le demeureront même après les travaux.
Au Palais des chaussons et pizzas, à l’angle de la rue Clark, les clients seraient maintenant quatre fois moins nombreux.
«Ça fait plus de 30 ans qu’on est sur le boulevard, c’est notre seul gagne-pain c’est un cauchemar de voir ça chaque jour, on est passés de 20-25 clients par heure à 5. Ils font trois fois le tour juste pour trouver un stationnement», déplore la fille du propriétaire, Jennifer Faddoul.
Les travaux réalisés sur un tronçon de deux kilomètres ne représentent qu’une phase du projet. À terme, le boulevard Henri-Bourassa sera aménagé de cette façon de l’autoroute 40 au boulevard Lacordaire et le tout devrait être complété en 2027.
La mairesse d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier, soutient que le projet permettra d’attirer une nouvelle clientèle. «On ajoute des fonctions sur le boulevard Henri-Bourassa pour qu’il y ait à terme plus de monde […]. Il n’y a pas beaucoup d’achalandage de stationnements sur Henri-Bourassa et on est capables de reporter 100 % de ces voitures-là sur les rues perpendiculaires», dit-elle. Selon son équipe, seulement la moitié des espaces disponibles sur Henri-Bourassa étaient occupés.
Le propriétaire de la boucherie Salaison St-André, André Savoie, admet que l’idée en soi n’est pas mauvaise, mais qu’elle aurait dû inclure des stationnements en dehors des heures de pointe.
«Mon père et mon grand-père n’ont jamais été assez imbéciles en 64 en pensant un jour qu’ils n’auraient pas le droit de se stationner, explique-t-il. Il y aura toujours une clientèle de gens plus âgés, vulnérables […] eux, ne pourront pas venir en vélo chercher leur dinde de 30 livres et leur jambon de 25 livres à Pâques.»
Des résidents aussi mécontents
Un résident du secteur, qui doit taire son nom, car il est employé de la Ville de Montréal, dénonce aussi la façon dont le projet est mené. «C’est l’embouteillage, c’est quand même intense et il n’y a personne [l’été]. Quand il fait beau, je prends mon vélo. J’ai des garçons qui font du sport élite, je ne peux pas emmener mon garçon avec son sac, ses jambières, sur mon dos[…]Il y a certaines choses qu’on ne peut pas faire à vélo.»
Une résidente de la rue Bois-de-Boulogne, qui ne peut ni faire du vélo ni marcher sur de longues distances, car elle a subi plusieurs opérations à la cheville, appréhende le retour de la circulation normale à l’automne, car elle n’aura pas le choix de prendre sa voiture. «C’est contre-productif, car ça va créer plus de congestion. Juste pour amener [mon garçon à l’école en transport en commun, c’est environ 45 minutes en changeant trois lignes d’autobus […] Je n’ai même pas de transport en commun qui se rend à mon travail», déplore-t-elle.