EEYOU ISTCHEE | Au cœur d’un vif débat sur l’avenir énergétique du Québec et d’une certaine tension avec les Premières Nations, le premier ministre rend hommage au bâtisseur de la Paix des Braves, Bernard Landry, en désignant une centrale hydroélectrique officiellement à son nom.
La cérémonie de désignation de l’aménagement «Bernard-Landry» a eu lieu dans le Nord-du-Québec en compagnie des proches du défunt premier ministre, dimanche. Hydro-Québec a changé le nom en 2019, mais la pandémie a retardé la cérémonie.
Sur place, le premier ministre du Québec, François Legault, a tenu à rendre hommage à l’ancien chef péquiste, décédé il y a six ans. En présence d’une délégation de la Nation crie, le premier ministre a parlé «d’un homme d’État plus grand que nature».
«Bernard Landry, c’était un bâtisseur de la nation québécoise (…) Quel bel hommage que la centrale Eastmain-1A porte maintenant son nom», a déclaré François Legault.
Cette désignation survient alors que le projet de loi 69 sur l’avenir énergétique du Québec fait débat à l’Assemblée nationale.
La législation doit permettre à Hydro-Québec d’investir rapidement plus de 150 G$ pour doubler sa capacité de production afin que le Québec atteigne la carboneutralité d’ici 2050. La société d’État cherche à produire près de 10 000 mégawatts supplémentaires d’ici 10 ans, incluant un large développement du secteur éolien sur les terres des peuples autochtones.
Pas actionnaire d’Hydro
Jeudi dernier, l’Assemblée des Premières Nations a d’ailleurs fait ses récriminations au gouvernement du Québec.
Déçues de ne pas avoir été consultées avant le dépôt du projet de loi, les Premières Nations ont signalé le souhait de devenir un actionnaire important d’Hydro-Québec, en plus de réclamer une vaste participation dans ce développement énergétique. Elles souhaitent aussi une place au conseil d’administration de la société d’État. Sinon, disent-elles, «bonne chance» pour obtenir ces 10 000 mégawatts qui se trouvent majoritairement sur leurs terres.
«On veut avoir non seulement notre mot à dire, mais également la place qui nous revient», a expliqué le chef Ghislain Picard.
Bernard Landry a signé la «Paix des Braves» en 2002, une entente reconnaissant les droits la Nation crie sur son territoire (voir plus bas).
François Legault admet que la Paix des Braves doit devenir «un standard» pour les relations avec les nations autochtones, mais rejette l’idée d’un actionnariat chez Hydro-Québec pour les Premières Nations. «Pas d’Hydro-Québec, mais projet par projet, on est très ouvert», a-t-il signalé, ajoutant, dans son discours, vouloir «créer de la richesse» pour les nations distinctives.
Il prévient toutefois les Premières Nations: il négocie «avec les Cris, pas avec M. Picard».
Autres Paix des Braves?
Grand chef du Grand Conseil des Cris lors de la signature de la Paix de Braves, Ted Moses a tenu à rendre hommage à son «ami» et «frère» Bernard Landry, décrivant la solide relation qui existait entre les deux hommes.
En ce qui a trait au plan d’Hydro-Québec, il croit que le gouvernement du Québec devrait signer de nouvelles ententes avec les peuples autochtones, comme celle de la Paix de Braves.
Il soutient que le premier ministre François Legault fait des efforts afin de créer des liens avec les Premières Nations, mais qu’il «pourrait en faire plus».
Si elle est adoptée, la loi doit permettre à Hydro-Québec de conclure des ententes avec les communautés autochtones plus facilement et rapidement.
Le PDG de la société d’État, Michael Sabia, a d’ailleurs affirmé en commission parlementaire que le gouvernement du Québec devait cesser d’être «parternaliste» envers les premiers peuples.
M. Sabia et la nouvelle superministre de l’Économie et de l’Énergie, Christine Fréchette, étaient toutefois absents lors de la cérémonie.
Entente historique
En 2002, le premier ministre Bernard Landry a signé la Paix des Braves; une entente entre la nation québécoise et la Nation crie, d’égal à égal.
Les Cris ont ainsi obtenu une participation plus active sur le développement économique et la gestion des ressources naturelles sur ce territoire, incluant l’établissement d’un régime forestier.
Avec cette signature, le gouvernement du Québec s’est engagé à verser pendant 50 ans ce qui représente aujourd’hui plus de 100 millions $ par année. À l’époque, 70% de la nation crie avait voté en faveur de la ratification de l’entente.
Afin de rendre hommage à cette signature historique, le réservoir qui alimente le barrage porte aussi le nom de Paix des Braves.
La construction de la centrale a d’ailleurs été possible grâce à cette entente historique, en plus de permettre à Hydro-Québec de continuer son développement.
Ce qu’ils ont dit:
«On dit que vous n’êtes jamais vraiment mort tant qu’il y a encore quelqu’un qui pense à vous. Eh bien, aujourd’hui, Bernard, tu dois être extrêmement vivant. Car tous, ici, nous pensons à toi. Vive la Paix des Braves» – Chantal Renaud-Landry, femme de Bernard Landry
«Très content d’inaugurer la centrale et le barrage Bernard-Landry et le réservoir de la Paix des Braves. Je pense que c’est inspirant pour la suite des choses» – François Legault, premier ministre du Québec
«Au cœur de toute entente que la Nation crie conclut avec les gouvernements, il y a la relation qu’il a fallu établir afin de la rendre possible, et les efforts continus qu’elle exige de tous pour assurer sa meilleure mise en œuvre dans le meilleur intérêt de nos peuples» – Normand A. Wapachee, vice-grand chef de la Nation crie
«La mémoire de Bernard Landry sera ainsi à jamais immortalisée, chez nous, dans le nord du Québec» – Christine Fréchette, ministre de l’Économie et de l’Énergie
«L’esprit de collaboration dont il (Bernard Landry) a fait preuve continue d’inspirer notre travail avec les Premières Nations et les Inuits» – Ian Lafrenère, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits
La centrale Bernard-Landry en chiffres
Mise en service en 2012
Puissance de 768 mégawatts
2,3 térawattheures de production annuelle, l’équivalent de 135 000 foyers
Reconnue sur la scène internationale en matière de développement durable
Legault tente de tisser les liens
Le premier ministre du Québec a assis au 47e anniversaire de la relocalisation de la Nation Cri de Nemaska. À l’époque, les Cris de Nemaska ont été obligés de quitter leur domicile en 1977 après qu’Hydro-Québec les ait informés que leur territoire était menacé d’être inondé en raison des barrages.
«Il y a 47 ans, les ancêtres de Nemaska ont pris tout ce qu’ils possédaient et mis dans un canot et son revenu jusqu’ici sur les berges pour rétablir la communauté», a expliqué la secrétaire corporative et gestionnaire des communications pour Nemaska, Laurence Gagnon.
Ils se sont dispersés dans d’autres communautés durant environ 7 ans, a-t-elle expliqué. Les territoires n’auront finalement pas été touchés par les eaux.
Le chef Clarence Jolly de la communauté a accueilli François Legault pour une cérémonie dans une tente traditionnelle. Il avait ensuite un souper avec des membres de la communauté Cri.