SAN FRANCISCO | C’est rendu bien banal à San Francisco. Il y a des taxis qui circulent sans conducteur. J’ai évidemment embarqué. Peut-être que ça ne vous impressionne pas. Mais pour un gars de Québec qui trouve que le Sodastream est une renversante technologie dernier cri, disons qu’un robot-taxi, c’est une grosse bouchée d’un coup.
Peut-être que vous avez une Tesla qui se conduit toute seule, une tondeuse intelligente, un frigo intelligent et une brosse à toilette intelligente. Ce n’est pas mon cas. C’est peut-être la raison pour laquelle je n’en revenais pas de voir ça.
Certes, la conduite autonome prend de plus en plus de place sur les routes partout dans le monde. Mais sans aucun conducteur, c’est un autre niveau que peu de pays ont déjà commencé à accepter en vertu de leurs lois, notamment. Depuis juin dernier, 300 taxis Waymo ont envahi les rues de San Francisco. C’est Google qui est derrière tout ça.
Dans plusieurs États
Les véhicules, ce sont des Jaguar I-Pace, une bombe électrique luxueuse qui vaut 100 000$. Le fonctionnement est exactement le même que celui d’un Uber. Le prix est un peu plus élevé, mais pas tant que ça. Un de mes trajets de 5 km avec Uber coûtait 15$, par exemple, contre 21$ avec Waymo.
Google a été solide pour réussir à s’implanter plus rapidement que les autres. Tesla, avec son Cybercab, et Zoox, d’Amazon, vont s’en venir. Et il y en aura plusieurs autres.
Waymo est déjà implanté à Phoenix, San Francisco et dans certains secteurs de Los Angeles. Austin, Texas et Atlanta s’ajouteront au cours de la prochaine année.
Ma première interrogation, c’est évidemment la sécurité. Cet été, à Phoenix, un taxi Waymo a foncé directement dans un poteau de téléphone. Comme si l’ordinateur n’avait jamais vu ce poteau.
Ça fout un peu la chienne. Mais les taxis Waymo ont parcouru 32 millions de kilomètres jusqu’ici et on dénote 17 accidents, avec aucun blessé. C’est tout. Les autorités fédérales ont tout de même décidé d’enquêter. Mais Waymo veut être le conducteur le plus digne de confiance au monde, et jusqu’ici, c’est pas mal ça.
À San Francisco, j’en ai jasé avec une vingtaine de personnes. Ils partagent tous le même avis: ils n’ont aucun problème avec les taxis Waymo.
La sécurité et la neige
Concernant la sécurité, j’ai contacté la direction de Waymo pour demander pourquoi je ferais confiance à un robot pour conduire à ma place.
Sur les 32 millions de kilomètres parcourus, le robot de Waymo a été impliqué «dans 84% moins d’accidents que les humains», nous a indiqué Ethan Teicher, des relations médias de l’entreprise.
Est-il utopique de croire qu’une telle technologie pourrait fonctionner dans les conditions hivernales du Québec?
Pas du tout.
M. Teicher a indiqué que l’entreprise était en période de test à Buffalo et New York, notamment. «Waymo teste régulièrement sa technologie sur des trajets durant l’hiver afin de développer son service dans des environnements hivernaux avec de la neige.»
Une expérience angoissante et hilarante
SAN FRANCISCO | Laissez-moi vous raconter précisément comment ça se passe quand on embarque dans un Waymo, comme si vous étiez avec moi, afin de répondre à toutes les interrogations que j’avais peut-être aussi.
Je suis à Union Square à San Francisco, c’est un peu la place centrale, très touristique. C’est de là que je commande pour Waymo. Je ne savais pas trop où aller car je ne connais rien à San Francisco. J’ai donc choisi le stade de baseball. C’est à 3,7 km et ça coûte 17$, et ç’a duré 20 minutes.
Comme pour un taxi ou un Uber, je donne ma destination avant de partir et mon trajet est partagé avec tous les chauffeurs, ou robots plutôt. Je me demande: il va se garer où, le Waymo, pour me prendre? Il y a du monde partout, du trafic, des bus, une manifestation d’employés d’hôtel.
Je le vois arriver. Il se faufile et arrête directement devant moi. Mon téléphone vibre. C’est un message qui me permet de déverrouiller les portières. C’est parti.
C’est hilarant. C’est comme quand quelqu’un dit que sa voiture s’est emballée, mais là c’est vrai. C’est comme un fantôme. Je suis assis sur la banquette arrière et je ne contrôle rien sauf la musique. C’est angoissant comme sentiment, mais c’est drôle, comme des montagnes russes.
La politesse envers un ordinateur
Un piéton veut traverser et il me coupe. Le taxi arrête et le piéton traverse en faisant un signe de remerciement à… personne. Je suis crampé. L’ami de ce piéton lui explique qu’il vient de remercier un ordinateur.
On est dans la voie de gauche et ça brette. Mon taxi accélère et décide de passer dans la voie de droite pour dépasser. Exactement comme un chauffeur de taxi impatient.
Puis on est coincé. Un camion de livraison est dans la voie de droite. Je me dis qu’un ordinateur ne voudra jamais s’imposer et que je resterai coincé là 10 minutes. Non. En quelques secondes, ma Jaguar met son clignotant et coupe une voiture pour reprendre la voie de gauche.
Il y a des caméras dans la voiture. Mais les micros sont fermés si vous voulez jaser de complot. Ils s’activent juste en cas de demande d’aide.
J’arrive à une lumière jaune. Encore une fois, je me dis que mon robot va redoubler de prudence et s’arrêter. Non, il accélère et réussit à passer. L’ordinateur a visiblement calculé qu’il était plus sécuritaire de passer que de freiner abruptement et de se faire cogner par la voiture derrière.
On embarque sur une rue tellement compliquée. Il y a des tramways, une piste cyclable, des gens stationnés n’importe comment, une voie pour les bus et des trottinettes électriques. Tout ça dans les côtes de San Francisco. Mon fantôme-robot a traversé ça les deux doigts dans le nez. Je n’en revenais pas.
À un feu rouge, la voiture devant moi décide de reculer car elle s’était engagée trop loin et n’a pas pu tourner. Mon robot se met à le klaxonner trois fois. Ça aussi, c’était drôle.
Le camion de pompier
Une situation stressante se produit par la suite. Un camion de pompier en mode urgence arrive de façon perpendiculaire à moi à un feu de circulation. Mon taxi a un feu vert et il a commencé à traverser. Puis il se rend compte qu’il est dans le pétrin quand le camion de pompier arrive. Si on recule, on va se retrouver sur la voie d’un tramway et il y a un véhicule derrière. Si on ne bouge pas, on bloque le camion de pompier. Le taxi a donc donné un méchant coup de gaz pour traverser l’intersection la pédale au fond afin de faire passer le camion de pompier.
Bref, ce robot est fort. Tous les doutes que j’avais ont été dissipés. Il ne conduit pas en pépère. Il circule à travers tout facilement. Même quand c’est serré, il sait que la voiture passe ou peut se stationner à un endroit précis. Bien sincèrement, c’est un charme.
Les véhicules Waymo sont munis de 40 capteurs, soit 29 caméras, cinq appareils de détection par la télémétrie et lumière (ce sont les trucs qui tournent sur la voiture) et six radars.
L’avenir, c’est ça ou un tramway?
SAN FRANCISCO | Dites à n’importe quel expert en technologie de conduite autonome qu’on a l’intention à Québec de mettre 10 G$ dans un tramway ou 10 G$ dans un troisième lien et il va se tordre de rire.
Les voitures sans conducteur seront visiblement dans tous les États américains d’ici deux ans. Une bonne vingtaine d’entreprises sont dans la partie et seront lancées à court terme. Waymo ne sera plus seul.
L’objectif derrière les robots-taxis, ce n’est évidemment pas pour qu’un touriste comme moi soit tout impressionné car ça ressemble à un manège en l’essayant à San Francisco.
C’est plutôt de changer le visage du transport dans le monde.
Les robots-taxis sont déjà plus sécuritaires. Mais ils sont aussi plus rapides et jamais dans la lune à un feu de circulation parce qu’ils sont en train de texter. Ils ne cherchent jamais leur chemin. Ils gardent toujours la distance parfaite avec le véhicule devant pour ne rien retarder. Mais surtout, ils sont infatigables. Donc, ils sont toujours sur la route. Ils n’ont pas besoin de pauses, sauf pour se recharger.
L’avenir de tout ça
Le but, c’est donc de déposséder monsieur et madame Tout-le-Monde de sa voiture. On va plutôt appeler notre robot quand on voudra se déplacer. Ainsi, ça va vider les stationnements. Ça va réduire le nombre de voitures. L’intelligence artificielle sera plus brillante que les humains quand il y aura de la congestion, donc ça ira plus vite. Tout sera tellement différent! Si vous habitez dans un village éloigné, on oublie ça pour un méchant bout. Mais dans les grandes villes, ce sera ça.
J’ai de la misère à y croire. Et je n’ai pas vraiment envie de ne pas avoir mon auto dans la seconde où je la veux. Mais je suis aussi certain que dans 30 ans, quand je vais lire que j’avais de la misère à y croire, je vais me sentir épais. Ce n’est pas «si», mais «quand» tout ça va arriver. Ça commence déjà ailleurs.
Et un tramway ou un autre pont, ça peut être génial. Mais si on réalise que ça ne servait à rien finalement en raison de cette révolution des transports sous-estimée, on ne sera pas fier d’avoir payé 10 G$ ou 20 G$.