Plusieurs d’entre vous m’ont écrit pour me demander des nouvelles et savoir comment je me porte depuis mon opération.
Vous connaissez le récit d’Anaïs Barbeau-Lavalette, La femme qui fuit? Eh bien moi, c’est «L’homme qui fuit».
Pas fuir dans le sens de «s’échapper» ou «s’éloigner», mais fuir dans le sens de «fuite d’un réservoir».
Car pendant 10 jours, je devrai porter une sonde, qui va de ma vessie à une poche attachée à ma jambe droite, via mon pauvre popeye, qui est rabougri comme un champignon.
Toutes les deux heures, je dois vider cette poche.
Moi qui ai acheté une auto électrique pour ne plus avoir à effectuer des changements d’huile, voilà que je dois vidanger mon réservoir à urine 10 fois par jour.
C’est fou ce qu’on peut produire comme urine dans une journée. On ne le sait pas, car tout ça se passe à l’intérieur de notre corps. Mais grâce à l’alambic qu’on a vissé à mon schtroumpf, je vois tout.
Et je peux vous dire que notre vessie percole plus fort qu’une machine à café!
Les astronautes, dit-on, boivent leur urine. Eh bien chez moi, ça serait un 5 à 7 toutes les heures!
«Comment ça va?»
Au cours des derniers jours, j’ai visité un monde que je connaissais, mais de loin.
Le pays des malades.
Ce pays n’a rien à voir avec le nôtre.
D’abord, les gens chuchotent. Et puis, ils s’intéressent aux autres. Ils s’enquièrent de votre état de santé.
Ça va? Vous avez eu quoi? L’ablation de la prostate? Moi j’attends que ma femme sorte du bloc opératoire. On lui a enlevé une grosse masse dans le cerveau qui bloquait son nerf optique.
Ou: ma femme a finalement eu une greffe du foie qu’elle attendait depuis huit mois.
Les gens sont gentils. Attentionnés.
Au CHUM, tout le monde sourit, tout le monde est gentil, du chirurgien en haut à la femme en bas qui valide ton billet de stationnement.
Et puis, oui, merde, je vais le dire, même si ce mot galvaudé me tombe sur les nerfs: tout le monde est bienveillant, voilà, c’est dit.
Les malades et les proches des malades ont toutes les raisons du monde d’être centrés sur eux-mêmes. Or, bizarrement, c’est le contraire.
Ils ne cessent de vous adresser des sourires.
«Toi aussi? Bienvenue dans le club!»
Quand tu entres au pays des malades, on t’enlève ton ego. Tu le glisses dans une pochette qu’on remise dans un coffre-fort, à l’arrière.
Tu redeviens humble. Tout nu. Un être humain, un amas de chair.
Pareil aux autres.
Ce que tu fais à l’extérieur n’a plus aucune importance. Tu te promènes en jaquette, les fesses à l’air, comme tout le monde.
Déambulant comme un p’tit vieux dans le corridor.
Un soluté dans le bras. Des cicatrices sur la bedaine. Le popeye recroquevillé dans sa coquille, comme une tortue.
En te disant: «Wow, la médecine, quand même!»
Tournant le dos au chaos du monde pour n’écouter que les gargouillements de ton estomac.
Essayant d’oublier que si cette fois tu t’en es sorti, un jour, ce sera ton tour.