Jean-François Baril ne regrette pas que son fils ait quitté la maison familiale à 16 ans pour aller jouer à des centaines de kilomètres, avec le Drakkar de Baie-Comeau.
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Mais comme il l’évoque dans le livre Le hockey mis en échec de Marc-André Leclerc, l’animateur et humoriste est «convaincu qu’à part cinq ou six joueurs exceptionnels, c’est trop jeune pour jouer dans la LHJMQ».
«Dans bien des cas, aussitôt que tu es un choix de première ronde, ils vont te garder dans l’équipe, parce qu’il y a toujours le spectre d’aller jouer aux États-Unis, explique M. Baril en entrevue au Journal. Dans certains cas, quand ils sentent qu’ils ne vont pas faire l’équipe, les jeunes disent: “Alors, je ne me présenterai pas au camp.”»
«Plusieurs observateurs, parents, agents ou anciens joueurs pensent que 16 ans, c’est trop jeune pour faire son entrée dans la LHJMQ», écrit aussi l’auteur dans son nouvel ouvrage.
«Capoté», mais stressant
C’est l’un des aspects du hockey de haut niveau sur lequel Marc-André Leclerc se penche dans ses pages, et pour lequel il a donné la parole à Jean-François Baril en tant que papa de hockeyeur.
Passionné de hockey, M. Baril a ressenti «une grande fierté» quand Nathan, aujourd’hui un membre des Foreurs de Val-d’Or, a été repêché en première ronde par le Drakkar.
«Sa première partie, son premier but, c’est capoté, lance Jean-François Baril. Les parents de jeunes de 16 ne vivent pas ça!»
«Mais il y a aussi tout un stress que tu gères à distance, poursuit-il. Dans la vie de jeunes de 16 ans, toutes sortes de choses arrivent. Ce sont des exemples banaux, mais quand Nathan est parti, il n’avait pas fini son cours de conduite. Il a aussi vécu une peine d’amour.»
Les parents ne sont toutefois pas les seuls à vivre des enjeux ainsi que du stress. Les jeunes aussi, pointe M. Baril.
«Il faut qu’ils soient capables de vivre avec ça, mentalement, car tu te retrouves loin de ta mère. Sur la glace, il faut que physiquement, tu sois capable de tenir ton bout», énumère-t-il.
Pas un problème, dit le commissaire
Le nouveau commissaire de la Ligue de hockey junior Maritimes Québec (LHJMQ), Mario Cecchini, ne croit pas qu’il s’agisse là d’une problématique.
Dans le livre, Marc-André Leclerc mentionne que M. Cecchini «voit d’un bon œil ces jeunes qui acquièrent de la maturité et qui se développent hâtivement».
Ils apprennent aussi «la discipline, le travail d’équipe, le respect de l’autorité, la gestion des horaires atypiques et des voyages», peut-on lire.
Jean-François Baril n’est pas en désaccord avec ce point. Désormais âgé de 19 ans, «Nathan est plus mature que la majorité des jeunes de son âge», dit-il.
«Quand ton entraîneur te fait venir dans son bureau, c’est un adulte qui te parle. Après ça, aller porter ton CV pour un travail, ça ne t’énerve plus trop», évoque-t-il notamment.
Il faut les bonnes conditions
Mais pour que l’expérience soit positive, il faut que le jeune tombe au sein d’une équipe qui aura du temps de glace à lui accorder afin qu’il se développe, insiste-t-il.
«Si au lieu de dire “on va le prendre pareil parce qu’on ne veut pas les perdre”, on prenait toujours celui qui mérite la place, le calibre de la LHJMQ serait plus fort, analyse-t-il. Et le calibre du midget AAA serait plus fort aussi.»
«Je pense que plus les ligues sont fortes, que plus les jeunes sont dans la bonne case et avec le bon temps de jeu, c’est comme ça qu’ils finissent par se développer.»
«Pourquoi un jeune de 16 ans doit se battre?» se demande un ancien bagarreur
Ce qui a le plus marqué Marc-André Leclerc au fil de la vingtaine d’entrevues qu’il a réalisées pour son livre Le hockey mis en échec, c’est à quel point, tôt dans une carrière, les joueurs ont leur propre «casting» duquel ils ne peuvent presque jamais se débarrasser.
En entrevue, l’auteur cite en exemple l’ancien dur à cuire du Canadien Dave Morissette. Dans les pages de l’ouvrage, celui qui est aujourd’hui analyste à TVA Sports se demande «pourquoi un jeune de 16 ans doit se battre».
«Un joueur comme Dave Morissette, [durant son parcours junior], il a été déraciné, mais il ne voulait pas retourner travailler à l’usine, explique M. Leclerc. C’est pour ça qu’il se battait. Il savait que comme ça, il allait faire sa place.»
«Tout le système est à revoir»
Marc-André Leclerc constate que dans le hockey, les joueurs se voient assigner «un personnage extrêmement jeune».
«Par la suite, tu es pris avec pour le reste de ta vie, relate-t-il. Pourtant, Dave me disait que lui, plutôt que de se battre, il aurait voulu avoir le temps de pratiquer ses feintes. Pour tenter d’être un meilleur joueur, pour pouvoir percer.»
Morissette, qui aura disputé 11 matchs dans la LNH, a expliqué à l’auteur ne rien regretter de sa carrière. «Je dois tout au hockey», évoque-t-il dans le livre.
Mais il croit que «le hockey est malade au Québec». «Je pense que tout le système est à revoir», ajoute l’ancien attaquant.
«Ce qui m’a surpris, dit pour sa part Marc-André Leclerc, ce sont tous les sous-entendus dans le hockey. Le casting qu’on te donne, tu es pogné avec.»
Il regardait l’horaire
Le cas des bagarreurs comme Dave Morissette est particulièrement frappant.
Certes, la réglementation mise en place par la LHJMQ l’an dernier a contribué à l’élimination de ce type de joueur dont l’unique rôle était de laisser tomber les gants. Depuis la saison 2023-2024, si un combat éclate, les deux joueurs seront automatiquement expulsés. L’instigateur se verra décerner un match de suspension.
Mais pour plusieurs hockeyeurs qui ont eu comme mission de se battre dès les rangs juniors, dont ceux qui, à l’instar de Morissette, jouaient dans les années 1990, le souvenir de ces combats est encore très vif.
«Dave regardait l’horaire des matchs, et il savait. Il savait que ce match-là, ce serait une grosse soirée [parce qu’il y avait un dur à cuire dans l’autre équipe]. Ça m’a marqué», pointe M. Leclerc.