Des centaines de jeunes sans emploi ou qui avaient décroché de l’école ont bénéficié du programme de réinsertion sociale à bord du voilier ÉcoMaris pour reprendre le contrôle de leur vie. L’initiative est si efficace que le milieu de l’intervention jeunesse aurait tout intérêt à imiter ses méthodes, affirme une experte.
«En moyenne, 85% de celles et ceux qui passent le programme retournent à l’école ou sur le marché du travail dans des emplois qu’ils aiment», soulignait mardi le fondateur et directeur général dʼÉcoMaris, Simon Paquin, à bord du voilier-école de l’organisme amarré au Quai de Bickerdike, à Montréal.
Le programme de réinsertion sociale appelé «parcours Cabestan» propose depuis 2014 une expédition de deux semaines sur le Saint-Laurent à des jeunes de 18 à 30 ans «en quête de sens».
Certains souffrent de dépression ou d’épuisement professionnel, d’autres d’une dépendance. Quelques-uns souhaitent soigner leur santé mentale. La plupart cherchent à changer de vie.
«Ça m’a sauvé la vie», lance Niche Guérin, 23 ans, qui a participé au programme à l’été 2023.
«L’expérience m’a permis de comprendre que je voulais et que je pouvais aller à l’université en arts», dit-il.
«Je vois à quel point ça change leur vie. Il semble y avoir quelque chose de magique qui se passe sur le bateau, qui devient lui-même un personnage de l’intervention», témoigne la professeure à l’École de travail social de l’UQAM, Jade Bourdages-Lafleur.
Elle travaille comme intervenante depuis quatre ans avec les participants du parcours Cabestan.
Développer du capital social
Dans ce navire d’à peine plus de 26 mètres de long, les 12 jeunes qui forment l’équipage — accompagnés d’officiers et de matelots certifiés — apprennent les rudiments de la navigation. Ils doivent cuisiner pour un large groupe et surtout s’entraîner à communiquer et coopérer dans le respect.
Et personne ne peut se permettre de chômer. L’ÉcoMaris a besoin de tout son monde pour voguer.
«Ils arrivent souvent ici sans avoir confiance en leurs moyens. On crée sur le bateau un groupe égalitaire qui ne s’inscrit pas dans le grade militaire traditionnel des métiers maritimes. Chacun a sa place pour développer ses compétences en toute sécurité», explique Mme Bourdages-Lafleur.
Après leur séjour en mer, les participants sont accompagnés un an par des intervenants de manière formelle. Ils rentrent donc de ces 15 jours avec un réseau solide sur lequel ils peuvent compter.
«Les jeunes du programme deviennent une ressource entre eux. J’en ai vu plusieurs à travers les années s’aider pour un déménagement, s’offrir un hébergement temporaire ou devenir colocataires», illustre la professeure.
«C’est une philosophie d’intervention jeunesse qui pourrait être amenée dans tous les milieux, poursuit-elle. On mise beaucoup sur le fait que les jeunes doivent se trouver un travail et un appartement pour devenir autonomes, mais on ne leur apprend pas vraiment à développer du capital social. Pourtant, aucun individu ne peut se réaliser dans la société sans capital social.»
Une voie vers l’industrie maritime
Au-delà des compétences «humaines», les participants au programme Cabestan sont appelés à développer de nouvelles aptitudes professionnelles, qui, dans plusieurs cas, les mèneront à une carrière dans l’industrie maritime.
«Entre 10 et 15% de nos jeunes se sont tournés vers ce domaine», précise Simon Paquin d’ÉcoMaris.
Selon le porte-parole de la Corporation de Gestion de la voie Maritime du Saint-Laurent, Paul Gourdeau, l’organisme est un «service essentiel» pour assurer la relève.
«Sur les 12 jeunes de mon groupe de l’an dernier, sept travaillent désormais sur les bateaux, précise Jade Bourdages-Lafleur. Ces métiers, souvent atypiques et d’aventure, répondent à des besoins qui sont souvent exprimés par les jeunes, mais ils ne font pas partie de notre imaginaire de réinsertion au Québec.»
Il y a pourtant un besoin criant de main-d’œuvre dans le milieu, fait valoir M. Gourdeau.
Un matelot de pont peut gagner jusqu’à 85 000$ alors que le salaire d’un capitaine ou d’un officier mécanicien peut grimper jusqu’à 150 000$, selon des données du Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie maritime.
Une femme dans un milieu d’hommes
«Sans EcoMaris, je n’aurais pas eu accès à ce métier. C’est un milieu hermétique quand on n’a pas de famille dans le domaine», raconte Gaia Viau, qui a participé au programme Casbestan en septembre 2019 alors qu’elle terminait une maîtrise en ostéopathie.
Celle qui a réussi une formation de matelot occupe depuis trois ans un poste de première officière, c’est-à-dire de seconde capitaine d’un navire. Elle travaille sur les navires d’ÉcoMaris et de la Garde côtière canadienne.
«C’est une fierté en tant que femmes de travailler dans un milieu composé à vaste majorité d’hommes, insiste Gaia Viau. Ça donne du pouvoir de conduire un brise-glace, d’aller en Arctique, d’apprendre la mécanique des navires.»
Au Québec, moins de 18% de femmes composent le personnel maritime, selon le Diagnostic sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie maritime réalisé en 2023.