Le Québec a perdu un monument de sa contre-culture. Poète rebelle, rockeur insoumis, professeur et animateur radio, Lucien Francoeur a rendu l’âme au bout d’une formidable vie remplie d’excès à l’âge de 76 ans, mardi soir.
C’est un arrêt cardiaque survenu en pleine rue, le 22 octobre, qui aura été fatal à celui qu’on a notamment connu pour ses recueils de poésie, le rock percutant de son groupe Aut’Chose et son célèbre Rap-à-Billy.
Tenu dans le coma depuis deux semaines, il est mort entouré de sa conjointe Claudine Bertrand et de sa fille Virginie.
«La poésie l’a accompagné jusqu’à son dernier souffle. À son chevet, ma mère et moi lui en avons lu. Ça lui a permis de partir en paix», a confié sa fille Virginie Francoeur, dans une entrevue accordée au Journal.
«Francoeur, c’est Rimbaud»
Lucien Francoeur avait commencé à écrire et à publier de la poésie depuis une couple d’années quand sa route a croisé celle de Pierre-André Gauthier, en 1974.
«Je l’ai rencontré dans un party de Noël. Il chauffait des taxis. Il m’a dit: “Je suis un poète rock and roll.” Câline, ça adonne bien, moi je suis un guitariste rock and roll», nous a raconté M. Gauthier.
Ensemble, ils ont formé Aut’Chose, fait paraître trois albums sur lesquels on retrouve des chansons comme Le freak de Montréal et Nancy Beaudoin.
«Francoeur, c’est Rimbaud. Ce qu’il racontait, ce n’était pas “je t’aime” et “je veux te tenir la main”. C’était un peu plus cru, un peu plus vrai. Il a écrit de la poésie de ruelle.»
Sans regret
Comme l’expose sa fille dans le touchant documentaire Francoeur: on achève bien les rockers, le disciple québécois de Henry Miller et Jim Morrison a eu une vie rock’n’roll, faite d’aventures fascinantes et d’abus de drogues.
«C’était un personnage plus grand que nature», résume l’agent d’artiste Mario Lefebvre, qui a connu Lucien Francoeur quand il était journaliste au magazine Pop Rock.
Des regrets? Pas du tout, disait le rockeur-poète en entrevue avec Sophie Durocher à QUB radio, l’an dernier, en citant l’immortelle chanson Non, je ne regrette rien, d’Édith Piaf.
«J’ai toujours eu ça comme slogan. Regretter, c’est déjà capituler.»
Du studio au cégep
Lauréat du prix Émile-Nelligan, en 1983, pour son livre Les rockeurs sanctifiés, Lucien Francoeur a exploré divers métiers, toujours reliés au milieu des arts.
Entre le rock et la poésie, il a enseigné la littérature au cégep, été chroniqueur dans diverses publications et a animé une émission à la radio de CKOI, à la fin des années 1980. En 2004, il participe à la seconde incarnation d’Aut’Chose, alors formé de musiciens de la jeune génération.
«C’est un homme aux multiples facettes. Je pense que tout le monde connaît une partie de Lucien Francoeur, mais ce n’est pas tout le monde qui le connaît dans son ensemble», observe sa fille Virginie.
Lui rendre hommage
Celle-ci verrait d’un bon œil qu’on rende hommage à son père. En entrevue, elle évoque de renommer une rue de Repentigny, sa ville natale. Elle propose aussi un monument ou un banc de parc dans le quartier Outremont, où il a vécu pendant 36 ans.
«Un banc, ça se prête bien pour lire de la poésie», soumet-elle.
En attendant, elle a lancé une campagne de sociofinancement pour lui offrir une sépulture au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, un souhait qu’il avait exprimé tout juste deux jours avant de subir son infarctus. «C’est dans ce cimetière que repose Émile Nelligan. On aimerait pouvoir lui offrir ça.»
Ils ont dit
«Lucien Francoeur, poète et rockeur, a marqué les Québécois par son style unique. Il nous a fait vibrer au son de plusieurs succès. J’ai une pensée pour ses proches, à qui j’offre mes condoléances.»
- Mathieu Lacombe, ministre de la Culture du Québec
«Le Parti Québécois salue la mémoire de Lucien Francoeur, un pionnier de la musique psychédélique et un poète emblématique de la contre-culture québécoise. Le Québec se souvient de la voie que Lucien Francoeur a pavée, des “aut’choses” qu’il a apportées et des horizons qu’il a élargis pour la culture d’ici. Merci Lucien pour toutes ces années à déranger, à innover, sans omettre l’inoubliable Rap-à-Billy.»
- Pascal Bérubé, député PQ
«Lucien Francoeur rejoint les rebelles qui nous ont quittés. Ce grand artiste québécois nous laisse ses poèmes rock et sa musique.»
- Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire
«Véritable icône de la contre-culture québécoise, son esprit libre aura marqué notre imaginaire collectif à jamais.»
- Office national du film
- Écoutez la dernière entrevue de Lucien Francoeur, en décembre 2023, à l’émission de Sophie Durocher sur QUB radio: