Quinze ans jour pour jour après l’assassinat de Nick Rizzuto Jr., les policiers détiennent aujourd’hui la clé pour résoudre le mystère dans cette affaire ainsi que dans les meurtres qui ont scellé l’implacable vengeance du célèbre clan mafieux.
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Cette clé, c’est le tueur à gages Frédérick Silva, témoin vedette de la Sûreté du Québec et de la police de Montréal dans le projet Alliance, selon des informations obtenues par l’Agence QMI et notre Bureau d’enquête.
Depuis qu’il a décidé de collaborer avec la justice il y a deux ans, Silva s’est lui-même incriminé pour le rôle qu’il a joué en 2014 dans le meurtre du caïd Ducarme Joseph, soupçonné d’avoir tué le fils aîné du parrain Vito Rizzuto, a-t-on pu apprendre.
Il a aussi confirmé que la tête de ce défunt chef de gang avait été mise à prix par la faction mafieuse d’origine sicilienne.
Silva a également dit tout ce qu’il savait au sujet d’un autre contrat de meurtre commandé par le clan Rizzuto, soit l’élimination du promoteur immobilier Antonio «Tony» Magi, abattu à l’hiver 2019.
Silva avait été appréhendé un mois après le meurtre de Magi, mais pas pour avoir trempé dans ce crime.
«Précédent historique»
Le 28 décembre 2009, à 12h10, Nick Rizzuto Jr. devient la 31e victime de meurtre de l’année à Montréal, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce.
«Cet assassinat est un précédent historique. Depuis 1978, personne n’a osé défier ouvertement les Rizzuto ni à Montréal ni ailleurs au Canada», commente l’auteur Antonio Nicaso, un spécialiste de la mafia, en entrevue avec Le Journal de Montréal le jour du meurtre.
Cet attentat fut le premier d’une série de coups durs qui ont frappé la famille Rizzuto et affaibli le clan sicilien – dont les meurtres en 2010 de Nicolo Rizzuto, le grand-père de Nick Jr., ainsi que de Paolo Renda, le consigliere de la mafia et beau-frère du parrain.
«C’est là, à mon avis, que s’amorce la fin de la dynastie des Rizzuto», expliquait Pierre de Champlain, un autre auteur expert du crime organisé au Journal en 2016.
Nick Rizzuto Jr., 42 ans et père de deux enfants, rendait visite à sa maîtresse, sur le chemin Upper-Lachine, quand un tireur de race noire, portant un manteau foncé à capuchon, a vidé le chargeur de son revolver sur la victime, l’atteignant de plusieurs projectiles avant de s’enfuir.
Le corps inanimé de Rizzuto a été trouvé gisant près de sa Mercedes noire. Les manœuvres de réanimation par des secouristes se sont avérées vaines.
Personne n’a encore été inculpé relativement à ce crime qui a semé la crainte et la consternation dans le milieu criminel.
«Le pauvre gars…»
L’aîné des deux fils de Vito Rizzuto résidait à Laval, mais il passait beaucoup de temps dans ce secteur du quartier NDG puisque les bureaux de l’entreprise Construction FTM du promoteur Magi, auquel il était associé, se trouvaient sur le chemin Upper-Lachine, à une centaine de mètres du site de la fusillade.
Un mois avant ce crime, Magi s’était publiquement porté à la défense de son partenaire d’affaires en déclarant au quotidien The Gazette que Rizzuto était victime de la mauvaise réputation de sa famille.
«Il a étudié le droit, et c’est un garçon intelligent. Il est bon dans l’immobilier. Le pauvre gars, il essaie de faire quelque chose de sa vie et, à cause de l’histoire de sa famille, à chaque détour, il doit encaisser les coups», avait alors plaidé Magi après que les policiers eurent visité les bureaux de la firme relativement à un dossier d’extorsion.
Mais était-il vraiment sincère?
Duo de choc
Le 11 août 2008, Tony Magi est atteint de trois projectiles d’arme à feu, dont un à la tête, après avoir immobilisé son véhicule à un feu rouge sur le boulevard Cavendish.
Après plusieurs semaines dans le coma, il survit miraculeusement, bien qu’il en garde des séquelles.
C’est à ce moment qu’il a confie sa protection à un dangereux caïd montréalais, le chef de gang de rue Ducarme Joseph, qu’on surnommait Kenny.
Magi, qui fut aussi victime d’un enlèvement en 2005, avait alors des dettes d’une ampleur considérable, notamment liées au projet immobilier du luxueux immeuble à condos situé au 1000, de la Commune, dans le Vieux-Montréal.
Le promoteur avait alors demandé l’aide du parrain Rizzuto, bien qu’emprisonné, pour trouver des investisseurs.
Rizzuto avait alors placé son fils Nick aux côtés de Magi pour «prendre le contrôle du projet», avait témoigné l’enquêteur Éric Vecchio devant la commission Charbonneau en mars 2014.
«Il a tout vu»
Puis, en 2019, Andrew Scoppa, l’ex-chef intérimaire de la mafia montréalaise, fait des révélations fracassantes à notre Bureau d’enquête sur ce meurtre.
«Kenny s’est mis dans la tête de s’occuper des problèmes de Magi. Et montrer qu’il n’avait peur de personne. Même pas de la royauté», a-t-il dit en faisant référence à la famille Rizzuto.
«Nicky […] sortait d’un meeting avec Tony Magi, et il venait de quitter le bureau. Magi le regardait par sa fenêtre. Il a tout vu», nous a déclaré Scoppa, qui fut aussi un confident du parrain Rizzuto, quelques mois avant d’être lui-même tué par balles.
Scoppa en savait beaucoup au sujet de cette affaire, survenue alors que Vito Rizzuto était détenu au pénitencier de Florence, au Colorado, pour complot de meurtres.
«Vito a pleuré au téléphone quand il l’a appris. C’est Leo [son fils cadet Leonardo Rizzuto] qui l’a appelé. Il n’a pas pleuré quand son père a été tué, mais pour son fils, oui», a ajouté Scoppa, dont les confidences ont fait l’objet du livre La source.
Restaurer son honneur
Le parrain est revenu au pays en octobre 2012, après six ans d’incarcération aux États-Unis.
«Vito Rizzuto doit venger la mort de son fils pour restaurer son honneur, son autorité morale et sa crédibilité de chef de l’organisation à Montréal. C’est la règle d’or de la mafia sicilienne avec laquelle il a été élevé», a ensuite expliqué au Journal Pierre de Champlain, en janvier 2013.
En septembre de la même année, un informateur bien branché sur le milieu criminel transmettait le même message à la police de Montréal, tout en précisant les noms de deux suspects, selon des documents judiciaires obtenus par notre Bureau d’enquête.
«Tant qu’il n’a pas rétabli son honneur en éliminant Tony Magi et Ducarme Joseph, tous deux responsables du meurtre de son fils, [Vito] Rizzuto ne peut manifester ouvertement son pouvoir», peut-on lire dans l’un de ces rapports policiers.
Le parrain avait une idée bien arrêtée quant à l’identité du tireur suspect et au traitement qu’il méritait.
Rizzuto voulait Ducarme Joseph «vivant pour le faire souffrir», rapportait Le Journal en août 2016, d’après des documents judiciaires où l’on citait des informateurs de la police.
Il a toutefois été emporté par une pneumonie alors qu’il combattait un cancer, en décembre 2013, à l’âge de 67 ans, avant d’avoir pu venger la mort de son fils.
Travail de professionnel
Le 18 mars 2010, Joseph échappe à une fusillade qui fait deux morts, dont son garde du corps, à l’intérieur de sa boutique de vêtements, le Flawnego, dans le Vieux-Montréal.
Mais le soir du 1er août 2014, un tireur l’atteint de plusieurs balles à la tête alors qu’il marche dans le quartier Saint-Michel à Montréal.
«Vers 22h20, à leur arrivée sur les lieux, les policiers voient Ducarme Joseph étendu sur le dos au milieu de la rue Michel-Ange, à l’intersection de la rue Shelley. […] Aucune manœuvre de réanimation n’est effectuée par le personnel ambulancier dû à l’état du corps», relate le Service de police de la Ville de Montréal dans un rapport.
Puis, le matin du 23 janvier 2019, Magi, 59 ans, subit le même sort dans le stationnement d’un immeuble en construction dans le quartier NDG.
«Une job de pro», d’après une source policière en parlant du meurtre, commis à seulement huit coins de rue de l’endroit où Nick Rizzuto Jr. fut assassiné.
La collaboration de Frédérick Silva, qui a été condamné pour trois meurtres, pourrait aider les policiers à élucider une soixantaine de complots d’assassinats liés au crime organisé québécois.