Adopter un enfant en passant par la DPJ, c’est souvent surmonter des obstacles dignes des 12 travaux d’Astérix, témoigne une mère soloparentale dans le récit des huit années qui se sont écoulées avant que sa fille devienne officiellement sa fille.
«Je ne blâme personne. Mais des fois, je suis en colère. Ça n’a pas de bon sens», lâche Catherine Voyer-Léger, 45 ans, quand elle pense à tous les écueils rencontrés par elle et sa fille.
C’est pourtant une histoire qui se termine bien. Mais c’est une histoire qui n’est jamais vraiment finie.
Dans le livre Adoption: Les 12 travaux de la banque mixte, paru cette semaine, l’écrivaine donne l’heure juste sur la forme d’adoption la plus répandue au Québec.
Le 8 janvier dernier, sa fille est enfin devenue officiellement sa fille. Elle a aujourd’hui 8 ans.
C’est une fillette énergique, curieuse, polie et hyper sociable. Mais elle est encore profondément marquée par les abandons qu’elle a vécus et l’insécurité alimentée par un long processus d’adoption.
Entre le moment où Mme Voyer-Léger s’est inscrite comme potentielle mère adoptive à la banque mixte de la DPJ et l’adoption finale, huit ans se sont écoulés.
C’est beaucoup plus que l’adoption «imminente» qu’on lui a tant de fois fait miroiter. Et surtout, ce n’est rien pour aider à sécuriser une petite puce qui avait été placée en famille d’accueil à l’âge de seulement neuf jours.
De «Catherine» à «maman»
La banque mixte de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) fait référence à ces parents qui s’inscrivent pour accueillir un enfant dans le but éventuel de l’adopter.
Une des particularités de ce programme est l’incertitude, puisque pendant une période impossible à prédire, l’enfant risque de retourner dans sa famille biologique.
«Parfois, je me réveille la nuit par crainte qu’elle ne reste pas avec moi», peut-on lire dans le livre.
Le récit est ainsi ponctué de moments touchants, comme celui où sa fille cesse de la nommer «Catherine» et la nomme «maman»… quitte à l’appeler ainsi jusqu’à plus soif.
En compétition malgré elle
Entre les «Alertes bureaucratiques!», elle aborde de front plusieurs tabous. Comme celui du malaise vis-à-vis de la famille biologique, avec qui elle s’est retrouvée en compétition malgré elle, tout en observant à quel point le système est injuste à l’égard des parents déchus.
«Il y a des moments où il fallait que je me retienne de les défendre. Je ne sais plus le nombre de fois où c’est moi qui leur ai appris une date d’audience» parce que personne ne les avait informés, illustre-t-elle en entrevue.
La commission Laurent, mise sur pied après la mort d’une fillette martyre à Granby, a mis en lumière la nécessité de prioriser le bien-être de l’enfant avant les liens du sang.
«Trop souvent, dans mon expérience, j’ai plutôt eu le sentiment que ce système ne se préoccupait du bien de personne», écrit-elle.
Au final, le processus s’est éternisé en raison des longs moments de vide où rien n’avançait sur le plan juridique, des délais sans cesse étirés par la DPJ, en plus d’une couche additionnelle de casse-tête bureaucratique dû à un déménagement de l’Outaouais à Montréal.
Dépassée
Elle aborde aussi l’ultime tabou: celui de l’amour maternel qui ne suffit pas à tout guérir.
Car le plus dur aura été l’absence flagrante de soutien adéquat de la part des intervenants.
Sa fille n’avait que 15 mois lorsqu’elle a emménagé chez elle, mais elle était déjà passée par plusieurs familles d’accueil auparavant.
On l’avait avertie qu’elle risquerait d’avoir développé des troubles affectifs, mais quand ces troubles se sont manifestés, vers l’âge de 2 ans et demi, Mme Voyer-Léger s’est retrouvée avec peu de suivis et de services. Et ce, sans l’autorité parentale pour avoir le droit de consulter au privé.
Dépassée par les crises violentes et les comportements opposants, elle s’est même un jour autosignalée à la DPJ, ce qui a ralenti encore plus le processus d’adoption.
«Si on m’avait accompagnée correctement dès le début, ça aurait été moins difficile», résume-t-elle.
Son témoignage est d’autant plus rare que tout ce qui touche la DPJ est entouré d’une injonction de confidentialité qui crée une peur de parler, explique celle qui espère maintenant libérer la parole d’autres parents adoptifs.
CHRONOLOGIE DE SON ADOPTION
Novembre 2015: première demande d’information auprès de la DPJ
Printemps 2016: inscription à la banque mixte
Novembre 2017: arrivée de la fillette chez elle, à l’âge de 15 mois
Septembre 2023: obtention de l’autorité parentale
Janvier 2024: adoption finale