Après la censure du gouvernement, le premier ministre français, Michel Barnier, a présenté jeudi matin sa démission au président Emmanuel Macron, qui va s’adresser à la nation pour tenter de fixer un cap dans une période de grande incertitude, doublée d’une crise budgétaire.
• À lire aussi: Que se passera-t-il si le gouvernement tombe en France?
• À lire aussi: Une motion de censure déposée contre le premier ministre Michel Barnier
• À lire aussi: En France, premiers pas du nouveau gouvernement, déjà menacé de censure
Cette tempête politique pourrait se doubler d’une tempête sociale. Des enseignants aux contrôleurs aériens, la journée de jeudi est marquée par une mobilisation et un mouvement de grève dans la fonction publique, avec des dizaines de rassemblements prévus dans tout le pays, et l’aviation civile a demandé aux compagnies aériennes de réduire leurs programmes de vols.
Ancien commissaire européen, M. Barnier, issu de la droite, a été reçu une heure par le président Macron. Conformément à la Constitution, le premier ministre est «démissionnaire de fait» en raison de la censure, a fait savoir l’Élysée.
Le chef de l’État s’adressera de son côté aux Français à 20 h (19 h GMT), a indiqué son entourage.
Une intervention nécessaire tant la crise politique est profonde depuis la dissolution surprise de l’Assemblée nationale en juin voulue par M. Macron, après la déroute de son camp aux européennes face à l’extrême droite.
Les législatives anticipées qui ont suivi ont abouti à la formation d’une Assemblée nationale fracturée en trois blocs (alliance de gauche, macronistes et droite, extrême droite), dont aucun ne dispose de la majorité absolue. Après 50 jours de tractations, un gouvernement de droite et du centre avait finalement été nommé début septembre.
Trois mois plus tard, celui-ci se retrouve donc balayé par l’Assemblée. Une première en France depuis 1962. Mais aussi un triste record pour l’exécutif sortant : jamais un gouvernement n’avait été aussi éphémère durant la Ve République française, proclamée en 1958.
La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a demandé jeudi matin à M. Macron de nommer «rapidement» un premier ministre pour «ne pas laisser s’installer le flottement».
Consultations
Elle était reçue par le chef de l’État tandis que son homologue au Sénat, Gérard Larcher, devait l’être à 15 h (14 h GMT).
M. Macron déjeune par ailleurs jeudi à l’Élysée avec le dirigeant du parti centriste Modem, François Bayrou, dont le nom circule pour prendre la succession de M. Barnier, a-t-on appris de source proche.
L’entourage du chef de l’État, au plus bas dans les sondages, ne fournit à ce stade aucun calendrier, mais plusieurs de ses familiers ont confié qu’il entendait agir vite. Dès jeudi soir ? «Il n’a pas le choix», s’avance un de ses proches.
Mais tant la gauche que le centre ou la droite paraissent désunis pour s’entendre sur un nouveau gouvernement de coalition.
La cheffe des députés du parti de gauche radicale La France insoumise (LFI) a d’ores et déjà prévenu jeudi que sa formation censurerait «bien sûr» tout premier ministre qui n’est pas issu de l’alliance de gauche du Nouveau Front Populaire (NFP), qui réunit écologistes, socialistes, communistes et gauche radicale.
Le coup est d’autant plus rude pour le pouvoir que la censure a été votée largement, par 331 voix, quand 288 étaient requises.
Les parlementaires de gauche et du parti d’extrême droite Rassemblement national (RN), ainsi que ses alliés, ont voté ensemble pour censurer le gouvernement sur des questions budgétaires, alors que la France est très fortement endettée.
La gauche radicale a aussitôt réclamé la démission du chef de l’État et une «présidentielle anticipée».
La cheffe de l’extrême droite française Marine Le Pen a semblé plus mesurée dans sa première réaction, assurant qu’elle laisserait «travailler» le futur chef du gouvernement pour «co-construire un budget acceptable pour tous». Elle n’a pas demandé la démission de M. Macron.
Élu en 2017 et réélu en 2022, le chef de l’État, dont le mandat court jusqu’en 2027, a affirmé mardi qu’il comptait servir son mandat «jusqu’à la dernière seconde».
La «réalité» de la dette
Si la chute de Michel Barnier était perçue comme une «mort annoncée», la presse française s’inquiète jeudi des «temps inconnus qui se profilent».
«Quelles suites après la chute de Barnier?», titrent les Dernières nouvelles d’Alsace. «Et maintenant?», s’interroge l’Est Eclair. Même son de cloche du quotidien Le Parisien, qui martèle: «Après la censure le grand flou».
La situation laisse les Français partagés: 53% approuvent la décision des députés, mais 82% sont inquiets de ses conséquences, selon un sondage Toluna Harris Interactive pour RTL.
«Flou», «impasse», «cercle vicieux»: du nord au sud du pays, l’inquiétude et la lassitude étaient manifestes chez les Français interrogés par l’AFP.
La situation budgétaire de la deuxième économie de la zone euro requiert un exécutif rapidement. Attendu à 6,1% du PIB en 2024, le déficit public ratera son objectif de 5% en l’absence de budget.
La France consacre 60 milliards d’euros par an à payer les intérêts de sa dette, soit plus que pour sa défense ou son enseignement supérieur, a rappelé M. Barnier mercredi. Et d’avertir : «On peut dire ce qu’on veut, c’est la réalité».
L’agence de notation Moody’s a estimé dans une note publiée dans la nuit que la chute du gouvernement «rédui(sait) la probabilité d’une consolidation des finances publiques» de la France.
Les marchés restaient néanmoins calmes. Après avoir ouvert en petite baisse (-0,28%) jeudi, la Bourse de Paris évoluait en petite hausse à la mi-journée (+0,22%). Et loin de s’envoler, le taux auquel la France emprunte sur les marchés était même orienté à la baisse.