L’ex-PDG de Port de Montréal a multiplié les dépenses luxueuses lors de ses nombreux voyages, dont une chambre d’hôtel à 1000$ la nuit, des vols en classe affaires à plus de 8000$ et un souper avec 100$ de tequila.
Martin Imbleau, qui a dirigé le Port de janvier 2021 à septembre 2023, a expliqué la semaine dernière que son mandat était de voyager pour rencontrer de nouveaux clients et faire du développement des affaires au nom de cette agence publique.
Mais il a aussi réalisé plusieurs dépenses importantes pour des repas avec alcool avec sa carte corporative alors qu’il se trouvait seul (dont un souper à 165$) ou avec quelques membres de son équipe.
Notre Bureau d’enquête a découvert ces dépenses en épluchant les nombreuses factures obtenues grâce à des demandes d’accès à l’information. Nous vous présentons aujourd’hui quelques exemples.
- Écoutez les explications de la journaliste Annabelle Blais via QUB :
Le Port change sa politique
Notre enquête a notamment amené l’agence fédérale à revoir sa politique de frais de représentation. Les dépenses d’alcool sont maintenant interdites sauf lors de repas avec des clients, tant que la dépense demeure raisonnable.
Une allocation repas (per diem) sera aussi imposée dans certains cas pour éviter que des factures trop salées soient soumises. Port de Montréal soutient que les directives actuelles manquaient de clarté.
Les frais d’hébergement seront aussi resserrés puisque la politique actuelle mentionne seulement que frais de déplacement devaient être «raisonnables» ce qui laissait libre cours à l’interprétation.
Comme nous le révélions la semaine dernière, M. Imbleau facturait aussi des montants salés pour des restaurants à Montréal, comme une réunion du Conseil d’administration à près de 3300$.
Il a aussi facturé lors de ses voyages ses consommations du minibar, dont une demi-bouteille de champagne, ce qui a pu gonfler les factures d’hôtel. La politique de Port de Montréal interdisait pourtant que ce type de dépense sur la carte corporative et M. Imbleau a récemment dû rembourser 470$.
Une nuit à près de 1000$
À l’occasion du forum annuel Global Maritime qui a eu lieu en septembre 2022 à Brooklyn, M. Imbleau a logé deux nuits à l’hôtel Moxy, situé à Manhattan. Il a facturé 2150$ pour 2 nuits, ainsi que des consommations au bar et au café de l’hôtel. La première nuit à elle seule a coûté 699$ US, soit environ 1000$. Lors de ce voyage, il a également facturé un repas 165$ et un autre à 144$ le lendemain. Ces deux repas étaient chacun accompagnés de deux verres de vin, et aucun invité n’est inscrit sur les factures ou dans l’allocation de dépenses. Coût total de la mission: 3820$.
3400$ pour un 5 étoiles à Paris
Au printemps 2023, M. Imbleau s’est rendu dans l’Hexagone, notamment pour le renouvellement d’une entente de coopération avec des ports français.
Il logeait au SO/Paris, un hôtel 5 étoiles sur les quais de Seine qui se décrit comme un «point de chute idéal des voyageurs stylés» avec des chambres «ultra-chic». Les cinq nuits d’hôtel ont coûté plus de 3400$ (dont 287$ en collations et breuvages).
Fait particulier, il a payé environ 600$ pour la nuit du 27 au 28 avril alors qu’il se trouvait en plein vol et a atterri en France le 28 au matin. Le vol en classe affaires a coûté 8200$. Coût total de ce voyage du 27 au 2 mai: 13 942$.
100$ de téquila pour un repas d’équipe
Lors d’un voyage en Californie du 27 février au 3 mars 2022 pour une conférence de professionnels du transport par cargo à Long Beach, M. Imbleau est accompagné de deux collègues du Port (un VP et une directrice).
Il a récupéré plusieurs factures de repas et cocktails pour le petit groupe. Lors d’un transit à Vancouver, il a dépensé 42$ d’alcool. Il a aussi payé quatre «repas d’équipe», dont un le 1er mars au Tequila’s Jack à 276$ où la moitié de la facture est en alcool. On compte notamment deux téquilas Don Julio à 47$ chacune.
Le 2 mars, un dîner d’affaires du trio avec deux clients a coûté 704$ dont une bouteille de Pinot noir à 130$. S’en sont suivis un cocktail à 76$ puis un souper d’équipe à 628$ pour le trio, qui inclut 200$ en alcool. Ainsi, cette seule journée a coûté plus de 1400$ en repas et alcool.
M. Imbleau a facturé un total de 10 852$ pour ce voyage de cinq jours, incluant son vol en classe affaires de 4321,69$. Son collègue VP a facturé de son côté 7600$. Notre demande d’accès ne couvrait pas les dépenses de la directrice.
Nombreux reçus manquants
Lors d’un séjour à Paris et à Genève entre le 7 et le 12 octobre en octobre 2021, on compte sept repas, dont trois ont été pris alors qu’il était seul, pour lesquels M. Imbleau déclare avoir perdu les factures. Port de Montréal a ainsi épongé pour 2400$ de repas sans factures.
Les 9 et 15 octobre, il a chargé un repas avec une personne de la firme Effet A identifiée comme un «client d’affaires». Effet A est une entreprise québécoise fondée par le mari de Sophie Brochu, ex-patronne de M. Imbleau. La firme donne des formations en entrepreneuriat destinées aux femmes, mais n’est pas cliente du port de Montréal.
Sur le site web d’Effet A, Martin Imbleau est présenté comme «leader».
Port de Montréal défend les voyages mais resserre les règles
Port de Montréal refuse de dire si les frais de déplacement de son ex-PDG étaient raisonnables, mais rappelle que sa politique sur les frais de fonction sera clarifiée prochainement.
Pour la seule année de 2022, l’ensemble des allocations de dépenses de M. Imbleau totalisent 104 000$, dont une grande partie en voyages.
En comparaison, la prédécesseure de M. Imbleau, Sylvie Vachon, avait dépensé environ 15 000$ en 2019.
L’écart important s’explique notamment par le fait que Mme Vachon était en fin de carrière, selon la directrice des communications de l’Administration portuaire de Montréal (APM) Renée Larouche. «Elle a annoncé sa retraite en 2020 donc elle faisait vraiment beaucoup moins de voyages. […] Elle avait délégué cette fonction-là à un des VP», a-t-elle dit.
On constate tout de même que lors de ses déplacements, Mme Vachon faisait parfois retirer des dépenses personnelles. Par exemple, en juin 2019, lors d’un séjour au Hilton de Munich, elle a pris soin de payer elle-même 6,60$ pour un breuvage du minibar.
Port de Montréal rappelle que l’ex-PDG Imbleau avait reçu le mandat de faire du développement des affaires et que plusieurs clients importants ont leur siège social à l’étranger, notamment en Europe.
Même son de cloche du côté de M. Imbleau: «Quand j’ai été engagé, le premier mandat était vraiment de prioriser le développement international», dit-il. Il cite le contexte postpandémique et le projet d’expansion à Contrecœur qui demandaient d’aller trouver du financement ainsi que les conflits de travail.
«On avait le mandat clair d’occuper le terrain chez nous et à l’international parce que la réputation de Montréal en prenait un coup», a-t-il expliqué en entrevue.
L’Agence fédérale n’a pas souhaité dire si dans le cadre de ce mandat, le montant des dépenses correspondait au critère «raisonnable» de sa politique.